vendredi 11 octobre 2013

Têtes de Maures : Corse, 1931 de Didier Daeninckx

Corse, août 1931. François Caviglioli, "bandit d'honneur", fait irruption dans une petite station thermale pour prélever son tribut. L'affaire tourne mal et se solde par plusieurs morts. La panique s'empare de l'île, chassant touristes et curistes que des caïds rivaux se sont fait une spécialité de rançonner. L'occasion  pour le ministre de l'Intérieur, Pierre Laval, de mettre sur pied une expédition militaire d'une brutalité toute coloniale...
En quoi ces événements méconnus sont-ils reliés à la disparition de Lysia Dalersa, le 5 mai 2012, et à la mort de son frère, quelques semaines plus tôt, déchiqueté par la bombe qu'il destinait à une villa construite trop près des plages ?
Melvin Dahmani, petit escroc parisien qui fut l'amour d'été de Lysia, entreprend sa propre enquête. Mais les témoins sont rares ou tiennent à leur vie. Seuls indices : ceux que la jeune femme a laissés, un vieux cahier et deux têtes de poupées maures...
En Corse, dit le proverbe, "tout se fait, tout se sait, tout se tait". A moins de bien chercher...
[Résumé Editeur, chez L'Archipel, coll. Suspense, impr. 2013, isbn : 978.2.8098.9.1304]
Ah mon boucher me l'avait vendue, cette histoire ! Il m'avait dit : "seul un Corse, à la rigueur un Méditerranéen, peut comprendre cette histoire, vraiment la comprendre". Je ne sais pas si les Bretons ou les Chtits ne pourraient vraiment pas non plus en prendre la pleine mesure... mais pour ce qui est de mon cas, Jean-Paul avait visé plutôt juste. 
La Vendetta, ici ça fait partie des moeurs. D'ailleurs, rien que l’étymologie de ce mot est parlante : il vient du latin, passe par le corse, re-passe par l'italien avant d'être francisé. 

Beaucoup de choses m'ont plu dans ce roman de Daeninckx, mais surtout je pense, parce qu'elles résonnaient en moi comme des histoires familières. Les noms des personnages, des villes et villages, leurs descriptions... Cette ambiance lourde, palpable, cette sensation d'être surveillé.
Je l'ai lu en une petite semaine tranquillement... Une bouffée d'air après le Pulkkinen !!
Je regrette  peut-être juste un peu de m'être parfois sentie perdue... Entre les différentes histoires de vengeance (il faut dire que la vendetta, ça n'a pas de limite de temps... Parfois les coups pleuvent un jour après l'autre, et et parfois, il se passe des années...), il m'est arrivé d'avoir du mal à retracer le contexte !

Voici les deux extraits que j'ai jugé les plus parlants, sur la Corse, et sur la vendetta.
"Ecoutez, Melvin, une île au soleil, ça ne fait rêver que les continentaux. En vérité, c'est comme un bateau : on s'y emmerde tellement qu'on fait exprès de se croiser le plus souvent possible pour croire qu'il y a du monde." p. 161
"Refuser l'héritage du sang, c'est pire qu'un bannissement. Celui qui s'y risque, celui qui pardonne, est considéré comme un traître, un lâche. La société entière le tient dans le mépris, il devient la honte des siens, on dit qu'il piétine les ossements de ses aïeux tout autant qu'il déshonore sa propre prospérité. Aucune femme n'accepte plus de lui donner l'asile de son ventre, ses enfants sont voués au malheur, à la mort indigne..." p. 199
Et maintenant, qu'est-ce que je vais lire ?

Aucune idée... Je n'ai pas encore eu le temps de me pencher sur la question !! J'attends le livre que doit m'envoyer Price Minister pour participer aux Matchs de la Rentrée Littéraire 2013... J'ai peur de commencer un livre et de devoir l'interrompre... J'ai embarqué Océan Mer de Baricco que j'ai dans ma bibliothèque depuis des années sans l'avoir jamais ouvert... On verra s'il me tente !


[Crédit photo : "NONZA, petit village corse", de cremona daniel, via flickr.com]

jeudi 3 octobre 2013

L'Armoire des robes oubliées de Riikka Pulkkinen


Elsa, la grand-mère d'Anna, est atteinte d'un cancer foudroyant. Entourée de ses proches, elle compte bien profiter de chaque instant, de chaque plaisir, jusqu'au bout : les rayons du soleil, les bains de mer, ou le corps de Martti, son mari depuis plus de cinquante ans, contre le sien. Mais Anna découvre que derrière ce mariage heureux se cache un drame qui a marqué à jamais tous les membres de sa famille. C'est une vieille robe oubliée dans une armoire, trouvée par hasard, qui va réveiller le passé...
[Résumé Editeur, chez Le Livre de Poche, impr. 2013, isbn : 978.2.253.17556.8]
Presque deux mois. Deux mois pour lire ce livre. Je m'y suis accrochée de toutes mes forces. Une fois de plus, j'avais repéré cette histoire dès sa sortie en grand format... Un secret de famille, tout ce que j'aime ! Dès la dernière page de mon livre précédent tournée, je suis allée me l'offrir en poche, et en ai entreprit la lecture séance tenante.

J'ai énormément apprécié l'écriture de Riikka Pulkkinen. J'ai lu ces 422 pages, un crayon à la main, et mon exemplaire s'est rempli de petits post-its. Elle a le don du mot juste, de la phrase qui reste suspendue dans les airs et qui attrape un de nos propres souvenirs pour venir se lover à lui.
Elle a su créer une atmosphère. J'adore les romans scandinaves pour ça, je ne sais pas si c'est seulement parce que cette contrée me paraît délicieusement exotique et attirante que ses descriptions font ainsi toujours mouche pour moi.
Pour ce qui est des personnages, c'est plus complexe. Tout d'abord, il faut se faire aux différents noms et surnoms des protagonistes féminins : Ella, Elsa, Eeva. Pulkkinen fait des allers-retours entre les années 60 et 2010, il faut donc au début, savoir de qui on parle. Il n'y a pas que leurs noms qui se ressemblent, au final, toutes ces femmes sont très semblables dans leurs actions et sentiments. Bien sûr, cela sert aussi à l'intrigue : Anna va découvrir l'histoire de sa grand-mère Elsa, et celle-ci va faire écho à la sienne.

A lire les critiques, je m'attendais vraiment à un roman époustouflant, en cela sur le coup, j'ai été déçue. D'abord, il m'a fallut énormément de temps pour entrer dans l'histoire, pour avoir envie d'en apprendre plus. Quel était-il, ce drame que la quatrième de couverture me promettait ? Rien n'est venu, l'histoire est celle du plus banal des adultères et de ses conséquences. Si la forme d'écriture est belle, j'en ai trouvé le fond très plat. Ce n'est que maintenant, que je suis en train de repenser à ces détails, aux strates de ces personnages que je me rends compte de la justesse  des scènes que j'ai pu lire.

Voici quelques uns des passages pointés avec mon crayon :
"Les vivants ne savent rien de la mort, mais celle-ci, avec sa discrète avancée, fait irruption dans leur quotidien. Le temps se ralentit, la réalité est bornée par les murs du chagrin entre lesquels le mourant et ceux qui l'accompagnent accomplissent leurs rituels fervents." p. 21
"Les relations entre les gens sont comme des bois touffus. Ou bien les gens eux-mêmes sont des forêts, les sentiers s'ouvrent en eux l'un après l'autre, chemins se demeurant mutuellement inconnus, ne débouchant que par hasard sur les voies qui conduisent au bon endroit." p. 37
"Il aurait voulu dire à Anna : installe ta demeure dans les jours d'insouciance. Ils sont un rêve, mais tu n'as pas encore besoin de te réveiller. Dix ans, puis tu te réveilleras, cinq années de plus et tu lutteras contre l'éveil, une dizaine encore et tu te contenteras de ce que tu as. [...] Tu observeras le monde à la manière d'un tableau, le temps, l'expérience du temps, lui dessineront un cadre, et tu en jouiras d'une autre manière qu'auparavant." p. 47
"J'avais déjà oublié la confiance que les enfants reçoivent en partage parce qu'ils ne connaissent rien d'autre : la foi, reçue en naissant, que tout ira bien. A une période de sa vie, on la perd un instant, inévitablement. Si l'on a de la chance, elle revient. Viennent des gens pour vous prendre dans leurs bras sous la couverture, dans des chambres à coucher, pour vous tendre la main par-dessus des tables, et avec eux vous réapprenez ce qu'il vous avait fallu perdre en même temps que l'enfance." p. 109
"Quelqu'un a inventé qu'il n'y a pas de paix sans amour, et l'a chuchoté à l'oreille d'un autre à un coin de rue. La conscience de tous s'élargira, le ciel s'élargira au-dessus du chemin des idées, la terre ne tremblera pas, mais les cœurs battront plus vite." p. 325
Je garde donc de ce roman de Riikka Pulkkinen, une impression mitigée. J'étais heureuse d'en venir à bout hier soir !
Et maintenant, je change totalement d'univers. Fini le merle noir qui chante sur les branches nues des arbres au bord du lac, et bonjour soleil aveuglant, et chant des cigales qui tentent de dissimuler avec peine le bruit des balles tirées au silencieux dans le maquis corse. J'entame Têtes de Maures : Corse, 1931, de Didier Daeninckx.

Pour la petite histoire, c'est mon boucher qui m'a prêté ce livre ! Je vis dans une assez grande ville, mais dans un de ces petits quartiers qui ressemblent encore à un village et où l'on aime aller chez ses commerçants de proximité. Mon boucher est une attraction à lui tout seul, poète et jongleur de mots. Il a installé dans sa boucherie, une étagère, où l'on peut prendre et poser des livres. Têtes de Maures, il venait de le finir, mais il ne voulait le prêter qu'à quelqu'un "d'ici", en mesure de comprendre les Corses. On verra bien si mon sang sera à la hauteur !

[crédit photo : Le musée Gallen-Kallela (Espoo, Finlande), de dalbera, via flickr.com]